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Affichage des articles du septembre, 2020

À la une de l'Antivol

Publication de L’Antivol-papier n° 16, octobre-décembre 2024

Par la Rédaction

Nous avons le plaisir de vous annoncer que le nouveau numéro de L’Antivol-papier, correspondant au quatrième trimestre 2024, vient de paraître. Il est toujours gratuit et contient des articles qui, nous l’espérons, vous intéresseront autant que les précédents.

À partir de demain, mardi premier octobre, vous pouvez le trouver à Tours :

  • au bar « Le Serpent Volant », 54 rue du Grand Marché
  • à la librairie « Le Livre », 24 place du Grand Marché
  • à la librairie « Bédélire », 81 rue du Commerce
  • à la librairie « Lire au Jardin », 5 rue de Constantine
  • au bar « Les Colettes », 57 quai Paul Bert

Le plus simple est de le demander à l’accueil de ces établissements, aussi aimables qu’essentiels.

Par ailleurs, nous poursuivons la création de notre réseau de diffusion à vocation nationale.

Certains de nos membres ou lecteurs, ailleurs qu’à Tours, ont bien voulu en recevoir – nous prenons en charge les frais postaux – et se chargent de le distribuer autour d’eux.

On peut aussi le trouver à Paris, à la librairie « Quilombo », 23 rue Voltaire 75011, à Saint-Nazaire à la librairie « L’Oiseau Tempête » 20bis rue de la Paix. Dans les Deux-Sèvres La Boisselière (79310 Vouhé), dans l’Isère L’atelier paysan (ZA des Papeteries 38140 Renage), dans le Tarn les éditions La Lenteur (Le Batz 81140 Saint-Michel-de-Vax), dans le Maine-et-Loire l’Université populaire du Saumurois (12 rue de la Tonnelle 49400 Saumur) ont également accepté de faire partie du réseau de distribution. Ce dont nous les remercions tous vivement.

Et nous sommes bien sûr preneurs d’autres bonnes volontés…

Pour nous en faire part, nous communiquer vos réactions à la lecture du journal, nous proposer, comme pour le blog, vos propres contributions, merci d’écrire à lantivol37@gmail.com

À bientôt donc et que vive la presse écrite, réellement libre et radicale…

La Rédaction

PS Pour télécharger les précédents numéros :
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TEST article médiathèque radicale

Par Lou Hubert

Pour inaugurer notre page « Médiathèque radicale », j’ai réalisé une petite sélection documentaire au sujet de la guerre civile espagnole qui dura de juillet 1936 à avril 1939. Cette sélection illustre notre démarche d’ensemble : proposer dans notre médiathèque aussi bien des livres que des bandes dessinées, des films ou des chansons.

Antonio ALTARRIBA et KIM, L’art de voler, Denoël, 2011

« Bon, c’est l’heure… l’heure de s’envoler… Le 4 mai 2001, le père d’Antonio Altarriba, âgé de 90 ans, saute du quatrième étage de sa maison de retraite... En relatant son existence intimement mêlée aux tempêtes qui ont ravagé l’Espagne et l’Europe du 20ème siècle, son fils rend un vibrant hommage au courage, aux idéaux vaincus et à l’art si difficile de voler. » Découpé en quatre parties, ce roman graphique retrace la vie du père de l’auteur, de 1910 à 2001. La République espagnole de 1936 y occupe une place centrale puisqu’elle correspond à l’émergence d’une conscience politique chez cet homme, conscience politique qui ne le quittera plus malgré les obstacles du quotidien et l’Histoire qui le traverse (Franquisme, Seconde guerre mondiale, etc.). Un récit bouleversant.

À lire également le récit biographique de la mère de l’auteur : L’aile brisée.

George Orwell, Hommage à la Catalogne, 10/18, 1999

« C’était bien la première fois de ma vie que je me trouvais dans une ville [NdlR Barcelone, décembre 1936]où la classe ouvrière avait pris le dessus. » Voici comment débutent les premières pages d’Hommage à la Catalogne du célèbre écrivain et reporter George Orwell. Engagé au sein du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste), il part soutenir et défendre la République espagnole, celle des anarchistes. Dans ce témoignage, on le voit apprendre la lutte armée, porter la victoire éphémère du « rouge et du noir », observer et devenir victime de la trahison des Soviétiques et de la montée du fascisme de Franco. Un livre fort dans lequel l’on voit s’affirmer l’identité politique d’un écrivain aux prises avec son époque et ses idéaux.

Ken Loach, Land and Freedom, 1995, 1h50

Le film de Ken Loach correspond en quelque sorte à une mise en image de l’essai de George Orwell. Sorti en 1995, Land and Freedom suit David, un militant britannique, engagé dans le POUM. Une scène du film marque particulièrement : le débat des républicains espagnols sur la collectivisation des terres. Loin d’être banale, la scène montre comment les vieux relents de la propriété se retrouvent balayés, à force d’arguments, par un nouveau souffle : des terres pour toutes et tous.

À voir également Josep, un film d’animation d’Aurel, 2020.

« A las barricadas »

Chant emblématique des anarchistes espagnols en 1936 au début de la lutte contre le soulèvement fasciste. Il appelle à la résistance symbolisée par les barricades. Il évoque à la fin la Confédération nationale du travail (CNT), syndicat espagnol fondé en 1910 à Barcelone. La musique est celle du chant polonais « La Varsovienne » qui fut notamment chanté par les victimes de la répression tsariste ou les révolutionnaires russes de 1905 et 1917.

Lien internet : https://www.youtube.com/watch?v=JCm3qcUUSac


Negras tormentas agitan los aires.
Nubes oscuras nos impiden ver.
Aunque nos espere el dolor y la muerte
Contra el enemigo nos llama el deber.
El bien más preciado es la libertad
Hay que defenderla con fe y valor.
Alza la bandera revolucionaria
que del triunfo sin cesar nos lleva en pos. [variante : que llevará al pueblo a la emancipación.]
Alza la bandera revolucionaria
que del triunfo sin cesar nos lleva en pos. [variante : que llevará al pueblo a la emancipación.]
En pie el pueblo obrero, a la batalla
Hay que derrocar a la reacción.
¡ A las barricadas ! ¡ A las barricadas !
Por el triunfo de la Confederación.
¡ A las barricadas ! ¡ A las barricadas !
Por el triunfo de la Confederación.

Traduction française :


Des tempêtes noires agitent les airs.
Des nuages sombres nous empêchent de voir.
Même si la mort et la douleur nous attendent
Le devoir nous appelle contre l'ennemi.
Le bien le plus précieux est la liberté.
Il faut la défendre avec foi et courage.
Lève le drapeau révolutionnaire
qui nous emmène sans répit à la recherche de la victoire. [variante : qui mènera le peuple à l'émancipation.]
Lève le drapeau révolutionnaire
qui nous emmène sans répit à la recherche de la victoire. [variante : qui mènera le peuple à l'émancipation.]
Debout peuple ouvrier, au combat
Il faut vaincre la réaction.
Aux barricades ! Aux barricades !
Pour le triomphe de la Confédération !
Aux barricades ! Aux barricades !
Pour le triomphe de la Confédération !

Antonio ALTARRIBA et KIM, L’art de voler, Denoël, 2011.

Georg Orwell, Hommage à la Catalogne, Ivrea ou 10/18.

Ken Loach, Land and Freedom, 1995, 1h50 (bande-annonce)

Chanson, A las barricadas

A las barricadas

A las barricadas est l'hymne de la Confédération nationale du travail(1). Il est devenu l'un des chants anarchistes les plus populaires pendant la révolution sociale espagnole de 1936(2).

Les paroles sont écrites par Valeriano Orobón Fernández, et publiées pour la première fois en novembre 1933 dans un supplément de la revue Tierra y Libertad de Barcelone. Il se chante sur l'air de La Varsovienne(3)(4).

Notes

  1. Josep Pedreira , Soldats catalans a la Roja i Negra (1936-1939), L'Abadia de Montserrat, 2003, (ISBN 9788484155485).
  2. Arthur Bonner, We Will Not be Stopped : Evangelical Persecution, Catholicism, and Zapatismo in Chiapas, Mexico, Universal-Publishers, 1999, page 169.
  3. Isabelle Alonso, Je mourrai une autre fois, Héloïse d'Ormesson, 2016, page 196.
  4. Céline Cecchetto, Michel Prat, La chanson politique en Europe, Presses universitaires de Bordeaux, 2008, page 59.

Notre manifeste, notre collectif

L’Antivol est un collectif créé à Tours durant l’été 2020, dans un moment où fleurissent autant que tombent les masques. Ceux d’un capitalisme toujours plus injuste, violent et sans limites. Ceux d’une contestation qui monte, s’élargit mais patine aussi, d’hésiter entre mollesse et réflexes diviseurs voire sectaires. Ceux de la foule solitaire et majoritaire, qu’elle se compose de satisfaits, d’indifférents, d’obéissants, d’envieux ou d’épuisés par le travail ou de ne pas en avoir. Or l’avenir souhaitable et possible se situe, précisément, au-delà des masques : il s’agit désormais de se rassembler pour faire advenir, dans les esprits, les institutions, les faits, et à quelque échelle que ce soit, locale, nationale ou internationale, une société postcapitaliste et postproductiviste. Ce but, commun à L’Antivol et à tant d’autres collectifs à Tours, en France ou dans le monde, est donc forcément révolutionnaire, « radical », si l’on veut bien entendre dans ce terme autre chose qu’une formule, galvaudée ou incantatoire. Être radical c’est, ainsi que l’indique l’étymologie et l’exige l’avenir, chercher à aller à la racine des problèmes et à la hauteur des solutions.

Les deux raisons de notre nom

Parmi les membres de L’Antivol figurent d’anciens insoumis qui, après mûres réflexions, ont décidé en mai-juin 2020 de quitter La France Insoumise.

Les raisons de ce départ, tout à la fois simples et désolantes, tiennent en quelques points principaux qu’il importe de rappeler. C’est d’abord l’absence de démocratie interne dont de nombreux militants connus ou méconnus du mouvement ont déjà fait état, qu’ils aient choisi d’y rester pour un temps, « pour voir », ou de claquer brutalement la porte. C’est ensuite le retour, qui s’est effectué peu à peu mais est désormais acté, manifeste, à une ligne social-démocrate, s’incarnant aux municipales de 2020 dans une énième resucée de « la gauche plurielle », remettant en selle un PS autrefois honni et placée cette fois sous pavillon d’une écologie de complaisance avec le capitalisme. On voudrait donner crédit à l’idée – fausse – que le seul changement c’est le FN qu’on ne s’y prendrait pas mieux ! Ainsi, en trois ans, presque jour pour jour, a été liquidée la belle espérance transformatrice qui s’était levée en 2017, fruit de la confection du programme, L’Avenir en commun, et des résultats prometteurs de Jean-Luc Mélenchon et des 17 députés insoumis aux élections présidentielle et legislative de mai-juin. Cette liquidation, ce vol de l’espoir, l’un des pires outrages que l’on puisse infliger aux êtres humains, nous a paradoxalement inspirés : il explique, pour une part, le nom donné à notre collectif et il fait bien sûr écho à l’histoire de tant d’autres révolutions manquées, détournées, absorbées, autrement dit volées.

Le choix de L’Antivol trouve toutefois son explication dans une seconde raison, d’importance infiniment supérieure aux problèmes dans lesquels s’est embourbée la FI. Cette raison, c’est le caractère foncièrement prédateur du capitalisme. Qu’on l’examine historiquement ou spatialement, théoriquement ou pratiquement, le capitalisme renvoie en effet toujours à une forme de prédation, sans cesse plus élargie, sophistiquée, illimitée. Absorbant, colonisant, transformant tous les éléments qui composent la vie de l’homme, des sociétés ou de la nature en « chose », il exploite, pille, vole : vol de l’État et des services publics, vol de la vie des travailleurs, vol des terres ou de la Terre, etc. Tout doit entrer dans son métabolisme, se métamorphoser en gain monétarisé, en profit chaque jour davantage accaparé par quelques-uns, ainsi qu’en attestent l’essor de la finance mondiale et le hold-up des richesses dont elle se nourrit. Tout ce que nous percevons de manière ponctuelle, dissociée, éclatée, tout ce qui forge nos aliénations à ce processus, tous ces débats et sous-débats techniques, administratifs, juridiques ou de société qui nous agitent à tort ou à raison, ont pour effet d’obscurcir, de voiler cette dynamique fondamentale du capitalisme et du productivisme, car l’un ne va pas sans l’autre et l’autre sans l’un.

Pourquoi et comment les moyens sont-ils ainsi devenus les fins ? Pourquoi une majorité de la population, à Tours, en France ou ailleurs, y consent-elle, quelles que soient les raisons ou les formes de ce consentement ? Le capitalisme productiviste, que l’on qualifie régulièrement de rouleau compresseur, ne serait-il pas en réalité au bout du rouleau, à force de cynisme, d’injustices de classe, de simulacres de politique et d’incuries écologiques ? Ne voit-on pas monter depuis plusieurs décennies la nécessité, l’urgence de son dépassement et s’affirmer, d’alternatives localisées en projets d’alternative générale, une société postcapitaliste et postproductiviste, prudente, pluraliste et solidaire ? Comment, par la réflexion aussi bien que dans l’action, construire les libertés et les rapports de force indispensables à son avènement ? C’est à ce questionnement que L’Antivol souhaite contribuer. Après tant d’autres, avec tant d’autres, car au vol il nous faut plus que jamais substituer le partage.

Notre collectif au quotidien

La vie de L’Antivol promet donc d’être nourrie : animation du blog, participation ou organisation de débats et de formations, échanges et mobilisations avec d’autres collectifs, actions dans la rue, etc. L’ensemble de ces activités – plus celles qui viendront de l’inattendu ! – sera placé sous le signe de la radicalité et de l’ouverture, de l’imagination individuelle et collective, du sérieux et de l’humour mêlés, toutes qualités qui rendent la contestation aussi joyeuse que féconde.

Pour nous rejoindre, que vous habitiez à Tours, en France ou à l’autre bout de la planète, rien de plus simple : envoyez-nous un courriel à l’adresse lantivol37@gmail.com en nous indiquant ce que vous souhaitez, pouvez faire pour renforcer notre capacité commune à réfléchir et à agir. L’adhésion est gratuite, et si vous voulez en savoir plus avant de prendre votre décision, vous pouvez aussi nous contacter par le même canal ou par téléphone au 06 71 08 96 45.

Si l’envie vous prend de publier sur ce blog, vous pouvez aussi nous transmettre vos contributions, sachant que nous mettons en place, pour commencer, deux rubriques principales :

- une page « Idées ». Elle réunira, quelle qu’en soit la forme (articles longs ou billets d’humeur, entretiens filmés ou non, compte-rendu d’ouvrages, vidéos exemplaires, etc.) les connaissances de fond propres à nourrir la critique du capitalisme productiviste, à comprendre son emprise, et à s’en libérer.

- une page « Actions ». Elle réunira les échos des mobilisations qui font barrage à la colonisation de l’homme, de la société et de la nature par le capitalisme productiviste et inventent, en micro ou macro, la société postcapitaliste et postproductiviste, prudente, pluraliste et solidaire.

L’une et l’autre de ces rubriques fournissent déjà, en guise d’amorce, quelques exemples de publications. D’autres, de contenu et de style différents mais complémentaires, telles que « Bibliothèque radicale » (une sélection d’ouvrages de référence, des citations à utiliser, etc.) ou « L’Envol » (une curiosité à découvrir…), sont prévues ou en cours de confection. Nous vous tiendrons au courant dès qu’elles seront prêtes.

Une dernière remarque, qui « ne se fait pas » : si vous pensez détenir la vérité, merci de passer votre chemin ! À tous les autres, c’est au plaisir de vous lire, de vous entendre, de vous rencontrer.

Tours, le 20 septembre 2020

Comment je suis devenu une ressource humaine

Par Jean-Pierre Dautun

Pour commencer cette page « Idées », L’Antivol vous propose de lire ou relire un article de Jean-Pierre Dautun, paru dans Le Monde en 1993. Malgré son bon quart de siècle, le propos n’a pas pris une ride et il analyse, dans un mélange d’émotion et de lucidité, l’un des mots-clefs, symboles du capitalisme productiviste : tout, en effet, est appelé à y devenir chose, matériau, « ressource », l’homme y compris. À faire lire aux DRH, GRH d’entreprise ou d’administration, aux enseignants et étudiants des écoles de commerce, aux écolos de la « ressource naturelle », etc. Et ne pas oublier, bien évidemment, de bannir ce terme de votre propre langage…

« Le cri qu’on devrait entendre : “Voyez ce que le chômage fait de ses victimes. J’étais un homme : il fait de moi une “ressource humaine”.

« À moins de l’avoir vécu, on n’imagine pas ce que peut représenter le fait de tomber de la condition d’homme dans celle de ressource humaine.

« Cela m’est arrivé le jour de mon licenciement, mais je ne l’ai pas compris tout de suite, loin de là. Cela vient aussi plus tard. Avant d’être viré, on est un homme. Au moment d’être viré, on croit comprendre ce qui se passe : on pense qu’on est un homme en train d’être mis à la porte. Du tout. On se trompe. On subit une métamorphose secrète, invisible, instantanée. Apparemment, c’est le même corps, le même regard, les mêmes gestes, les mêmes capacités. En fait, sur-le-champ, on change d’état. Et cela ressemble, ma foi, à ce qui, dans les pays antiques ou barbares, faisait passer de l’homme à l’esclave. On s’aperçoit bientôt que la condition de ressource humaine guette la condition humaine moderne, comme la condition d’esclave était l'ombre portée, menaçante, permanente, de la condition d’homme libre. Il suffisait d’un revers militaire. C’est la même chose. Les revers économiques contemporains en sont la version avancée. Une défaite de ce qui remplace l’armée, une mauvaise tactique de ce qui tient lieu d’empereur, et vous voilà ressource humaine.

Coal in hands

« “Faire partie du personnel”, c’est une expression qui paraît infamante aujourd'hui. Mais rien de moins juste : elle reste noble. L’homme chassé du personnel n'est pas chassé de l’humanité. Celui qui devient une “ressource humaine”, si. Les bonnes âmes peuvent bien penser que ce langage est sédatif ; mais c’est la fidèle expression d’une barbarie à “masque” humain : sans visage. L’“humain” qu’on semble y introduire vient en chasser l’homme, aussi vrai que “humain” est adjectif et “ressource” nom. Nom “commun”. Car, tout de même, on était un homme et on devient “ressource”. Quelque chose de comparable dans sa nature à la nappe phréatique, à un “gisement”, – mot pertinent s’il en est. On rejoint un gisement, ce qui comme chacun le sait est un empilement de couches écrasées les unes sur les autres et les unes par les autres dans le sein obscur de la terre – un stock. Et on ne dépend plus que du trépan, de la foreuse qui vous extraira du gisement. À sa guise. À son rythme. Pas au vôtre. A-t-on déjà vu un bloc de charbon, ou une pépite d'or, même un diamant, aller réclamer que ce soit son tour d’être extrait ? La matière en cela fait preuve d’une sorte de sagesse qui semble étrangère à l’esprit le plus fin.

« Le jour où j’ai compris mon sort de mon pépite, j’ai compris aussi que ce n’était pas à moi de chercher la foreuse ; qu’il me restait autant de chances de retrouver un emploi que j’en ai de gagner au Loto. Ici comme là, il me faut attendre que le destin veuille bien me désigner pour cible de ses visées, si c’est mon tour – ce qui s’appelle la chance ou le hasard, selon les esprits.

« Et tel est le scandale qui rend aujourd’hui un humaniste inconsolable : que la survie sociale soit désormais, comme elle le fut aux époques qu’on lui a appris à nommer barbares, une affaire avant tout de “chance”. De compétences, de savoir, plus question. Chercher du travail est une activité pénible. Mais ce n’est que dramatique. Ce qui est terrible, c’est que ce drame s’enlève sur un fond “tragique”, et qui est celui-ci : qu’il ne dépende que du “sort” qu’on survive ou meure, voilà précisément le fait que ce qu’on appelle une “civilisation” avait pour mission d’éviter. Joli bilan. Voilà pourquoi le chômage n'est pas seulement une maladie économique : c’est un scandale de civilisation. »

Première publication dans Le Monde, 13 mars 1993.

Un ovni financier au pays du « social »

Colère

Par Pierre Bitoun et Lou Hubert

Le capitaliste, comme tout bureaucrate, adore les sigles. Celui par exemple de SIB ou « Social Impact Bond », « Bon à Impact Social ». Dans l’article ci-dessous publié en 2018 sur le site du Comptoir, les auteurs, tous deux sociologues, nous dévoilent ce qui se trame derrière l’apparition de ces « bons ».

Catastrophisme, pétitionisme ou petitsgestisme : comment se prétendre écolo et rester bourgeois

Par l’équipe de la revue Frustrations

Notre page « Idées » n’a pas seulement pour vocation de mieux comprendre et dénoncer le capitalisme productiviste. Elle est aussi consacrée à tous les pièges qui nous sont tendus, à tous les leurres qui façonnent les esprits et contribuent à absorber la contestation de l’ordre existant.

Que vive « Bassines non merci ! » et que périssent tous les grands projets inutiles et imposés…

Par BNM

Parmi les très nombreux collectifs qui s’opposent aux Grands projets inutiles et imposés (GPII), le combat livré par BNM ou « Bassines non merci ! » est, à tous égards, exemplaire. On y retrouve en effet, depuis 2017, une détermination sans faille contre la confiscation de l’eau par une minorité d’agriculteurs productivistes, un esprit de convergence des luttes qui leur vaut le soutien d’une myriade d’organisations politiques, syndicales ou associatives, un tempérament zadiste combiné à une remise en cause générale des institutions, des propositions alternatives on ne peut plus fondées, des formes d’action qui savent allier inventivité, humour et efficacité, etc. Autrement dit, si vous ne les connaissez pas encore, lisez l’un de leurs documents-synthèse reproduit ci-dessous, allez visiter leur site, leur page facebook, et surtout rejoignez-les ! Ils seront le dimanche 11 octobre à Épannes (79) pour une mobilisation de grande ampleur.

Gilets Jaunes : les raisons de la colère

France en Gilets Jaunes

Par Aphil Goude

Quoi qu’on en pense et quoi qu’il advienne, le combat des Gilets Jaunes est appelé à faire date dans l’Histoire. Si l’on peut gloser à l’infini sur sa portée ou ses limites, ses vertus ou ses vices, il est surtout indipensable de revenir à la parole de ceux qui y ont participé, y participent ou y participeront encore. C’est ainsi qu’on pourra lire ou relire le texte ci-dessous, d’Aphil Goude. Il date de mi-décembre 2018, soit un mois après l’Acte I du mouvement, et il a le mérite d’offrir une bonne synthèse des raisons de la colère. En plus, son auteur ou ses auteurs, par le pseudonyme choisi, ne manquaient pas d’humour. Doublement, qu’on songe à la sonorité anglophone ou aux initiales évocatrices des prénom et nom…

Colère

Quand tu supprimes l’ISF, malgré l'évasion fiscale pour laquelle tu n'as rien fait
Quand les plus riches de France ont gagné 6% de leur revenu disponible en une année
Quand les plus pauvres de France ont encore perdu 1% de leur revenu  « disponible »
Quand les membres du CA des entreprises du CAC 40 se gavent
Quand le patron de Renault gagne 45000€ par jour et fraude le fisc
Quand tes députés votent la loi liberticide sur le secret des affaires malgré une pétition de 550 000 concitoyens s’y opposant, l’optimisation fiscale étant dans le champ des « savoir-faire »

Ne t’étonne pas que la colère monte

Quand un Président est élu non par adhésion mais par rejet d’un adversaire
Quand le Président se vante d'avoir explosé l’opposition en France
Quand le Président est dans le déni et que son verni craque
Quand BFM annonce tous les jeudis que le mouvement s’essouffle

Ne t’étonne pas que les citoyens soient dans la rue

Quand tu oses enlever 5€ d’APL aux plus démunis ou prétendus tels
Quand tu augmentes de 23% la CSG aux seniors et que tu baisses encore leurs retraites en la désindexant de l’inflation, eux qui ont trimé toute leur vie pour la finir dignement
Quand tu développes le racket routier avec les nouveaux radars et une limitation illogique
Quand tu soutiens une société où le profit passe avant l’humain

Ne t’étonne pas que la France descende dans la rue

Quand tu n’apportes aucune réponse dans la semaine malgré les mobilisations nombreuses, pacifistes et répétées
Quand tu minimises le départ de tes plus importants ministres
Quand tu prélèves 4 milliards de taxe carbone et que tu n’en consacres qu’un à la transition énergétique
Quand tes députés votent le maintien du glyphosate, poison mortel

Ne t’étonne pas que ton peuple s'exaspère

France en Gilets Jaunes

Quand tu empêches des gilets jaunes de monter dans les trains pour manifester à Paris
Quand tu es capable d’envoyer une quantité exceptionnelle de CRS face à 8000 manifestants pacifiques
Quand tu nommes un copain barbouze pour s'occuper de ta sécurité au mépris des règles de la République (port d'armes, brassard police, nomination, avancement... ) et que tu prends comme ministre, et pas des moindres, un individu plus que douteux issu ou proche de la mafia phocéenne
Quand ton personnel soignant est à bout
Quand tes profs se sentent abandonnés
Quand l’hôpital est proche de la ruine
Quand tes gendarmes ne sont plus respectés
Quand tes policiers se suicident
Quand tes pompiers sont caillassés
Quand tes smicards sont désespérés
Quand tes cheminots sont dénigrés
Quand tu privatises à tout va les services publics, que tu fermes les petites lignes non rentables
Quand le chômage explose comme jamais
Quand le politique n’écoute plus
Quand le citoyen n'y croit plus

Ne t'étonne pas que ton peuple tout entier ait envie de « traverser la rue »

Quand l’agriculteur se suicide de ne plus pouvoir obtenir un prix décent pour son lait
Quand le vigneron voit arriver du vin espagnol par citernes
Quand le maraîcher, respectueux des règles sanitaires, qui trime sans compter, voit arriver des légumes et fruits étrangers remplis de pesticides et donc moins chers
Quand les artisans sont accablés de fiscalité et concurrencés
Quand tes étudiants sont obligés d’aller étudier à l'étranger pour obtenir un diplôme convenable (kiné, dentiste, médecin... )
Quand tes citoyens ruraux n’ont plus de maternité, plus de docteur, plus d’infirmière, car ça coûte trop cher ou que tu bloques le numerus clausus
Quand les commerçants sont noyés sous les taxes et qu’Amazon, Google, Facebook ou Apple sont exonérés
Quand tu baisses sans arrêt les dotations aux communes
Quand le code du travail est brûlé sur la place de la république
Quand le seul droit du citoyen est de payer des taxes, encore des taxes (la France 2eme au monde ! )

Ne t’étonne pas que les « gaulois réfractaires » soient dans la rue

Carte Gilets Jaunes

Les barricades vont se multiplier, les ronds-points filtrés et je suis loin d’être un énervé mais je vois des simples citoyens, pères et mères de familles, retraités, smicards, tous ceux qui bossent et paient leurs impôts, qui prennent sur leur week-ends, leur temps de repos, pour crier leur révolte.

La justice fiscale et sociale est réclamée, elle doit être entendue. Le peuple ne doit pas être méprisé. La victoire démocratique n’autorise pas tout, surtout quand elle se fait par défaut.

Un changement de paradigme est urgent.

Coronavirus : une révolution écologique et sociale pour construire le monde d'après

Par ATTAC France

Notre page « Actions » n’a pas seulement pour vocation de donner écho aux mobilisations qui font barrage au capitalisme productiviste. Elle est aussi dédiée à l’inventivité, individuelle ou collective, qui démontre la montée, dans les esprits comme dans la réalité, d’une société postcapitaliste et postproductiviste, prudente, pluraliste et solidaire.

Quoi que l’on pense d’Attac ou de l’usage immodéré de l’expression « le monde d’après » qu’a suscité le Covid-19, la longue note, publiée le 23 mars 2020 par Attac France et reproduite ci-dessous, constitue un bon exemple de cette inventivité. La lecture s’avère en effet, à plus d’un titre, particulièrement stimulante.

D’abord cette note propose toutes sortes de mesures indispensables pour faire face à l’urgence sanitaire, sociale ou démocratique ouverte par la pandémie. Mais la réflexion, ainsi que le titre du document l’indique bien, ne s’y confine pas et c’est à une synthèse des origines de la « crise » et des solutions pour dépasser l’ordre existant – ou « le désordre établi » –, que s’attelle principalement le document. On y retrouvera donc le fruit des travaux, de fond comme de détail, que mène l’association depuis plus de deux décennies et c’est ne pas exagérer l’intérêt de cette note que de dire qu’elle dessine les voies et les moyens d’un monde post-néolibéral et post-productiviste.

Le caractère stimulant du propos ne s’arrête toutefois pas là. Car c’est aussi ce qu’il manque dans cette note, ou n’y est pas suffisamment mis en avant, qui doit nous interpeller. Quels changements de mentalités, quels nouveaux rapports de forces, quelle révolution politique – et non pas seulement de politiques publiques ou privées – vont permettre la réalisation de ce « monde d’après » ? Mettre fin au capitalisme néolibéral n’implique-t-il pas inévitablement le dépassement du capitalisme lui-même, ce qui exige, entre autres, de repenser à nouveau la question de la propriété privée des principaux moyens de production des biens et services, et des systèmes de décision dans l’État ou l’entreprise ? L’heure, en d’autres termes, n’est-elle pas à la réinvention de la nationalisation, couplée cette fois à une véritable démocratisation de l’État, au nécessaire démantèlement des grands groupes, et à l’avènement dans la future économie privée d’un nouveau système de décision régi par les salariés, les citoyens, les habitants de ce « monde d’après » ? Faut-il, autre point litigieux, continuer à user et abuser du terme de « transition » écologique ?

Vastes questions donc, non pas contradictoires, mais complémentaires à la réflexion d’Attac et de tant d’autres mouvements…

« Nous ne voulons pas d’un retour à leur normalité, car la normalité néolibérale et productiviste est le problème. » C’est ce que nous essayons de démontrer dans cette note en proposant des solutions pour répondre à l’urgence sanitaire de manière efficace et juste, tout en esquissant, dès maintenant, la révolution écologique et sociale qui devra être mise en œuvre pour permettre aux peuples de reprendre le contrôle sur leurs vies et sur leur avenir.

Sommaire

1. Répondre à l’urgence

2. Pour une révolution écologique et sociale

Conclusion : préparer le jour d’après, dès maintenant !

1. Répondre à l’urgence

L’Organisation mondiale de la santé a pointé du doigt des « niveaux alarmants d'inaction » de la communauté internationale. Les dégâts humains sont d’ores et déjà très importants. La santé et la vie doivent primer sur toute considération économique ou financière. De ce point de vue, on est en droit de s’interroger sur les réactions du gouvernement, jugées trop tardives, incompétentes ou amateuristes selon de nombreux responsables scientifiques et de la santé et vu les enseignements qui pouvaient être tirés de la Chine ou de l’Italie. Le manque d’anticipation et de mesures fortes et immédiates va sans doute coûter de très nombreuses vies. Des mesures d’urgence sont nécessaires, pour protéger la vie de chacun, y compris des plus fragiles : toutes les mesures possibles et nécessaires pour protéger la santé des populations doivent être mises en œuvre, quelles qu’en soient les répercussions économiques.

Répondre aux besoins des hôpitaux pour faire face à l’urgence sanitaire

Les hôpitaux manquent cruellement de matériel, de lits et de personnels. Les pouvoirs publics doivent pallier en urgence les conséquences désastreuses de la casse des hôpitaux publics ces dernières années.

La gravité de la situation nécessite un plan d’urgence pour les hôpitaux, qui doit s’appuyer sur les exigences des personnels en lutte depuis des mois. Pour cela, des moyens budgétaires rapides et conséquents doivent être mis à disposition, « quoi qu’il en coûte », comme l’a énoncé Emmanuel Macron. Malheureusement, à ce jour, seuls deux milliards d’euros sont sur la table (dédiés « aux arrêts maladie, aux masques et à la rémunération des personnels soignants ») : il en faudrait au moins le double.

Parmi les mesures urgentes qui doivent être prises :

  • l’embauche immédiate de personnels sous statut et la revalorisation pérenne des salaires du personnel soignant ;
  • la réouverture de lits (il manque 10 000 places aux urgences et 40 000 dans les Ehpad), l’achat de matériel lourd pour les soins (respirateurs...), la mise à disposition systématique de tenues de protection efficaces ;
  • une reconversion massive de l’industrie française vers une économie au service des besoins sanitaires : fabrication de masques, de solutions hydro-alcoolique, de tests de dépistage...
  • l’annulation des dettes des hôpitaux accumulés par 10 ans de politiques néolibérales (8 à 10 milliards d’euros) ;
  • la réquisition des établissements hospitaliers, des lits, des laboratoires et cabinets de radiologie privés ;
  • la réquisition des médecins libéraux plutôt que de faire des appels à leur volontariat et la suppression des dépassements d’honoraires ;
  • l’interdiction de l’activité privée au sein des hôpitaux publics afin de transférer tous les moyens au service de la population.

Respecter les libertés et droits démocratiques

L’urgence est la crise sanitaire : nous respectons les mesures nécessaires pour éviter la propagation du virus et la sursaturation des établissements médicaux. Mais la crise sanitaire ne doit pas être l’occasion de remettre en cause des libertés fondamentales, telles que la liberté d’informer et de lancer des alertes. Elle ne doit pas être l’occasion de violences policières sous caution de faire régner l’ordre public. Et elle doit donner lieu à une réelle transparence de la part du gouvernement, en premier lieu à la publication de tous les rapports et conseils scientifiques sur lesquels il s’appuie.

Nous ne sommes pas en guerre comme l’a affirmé Emmanuel Macron, mais face à une pandémie. Nous ne sommes pas des soldats, mais des citoyennes et citoyens. Nous n’avons pas d’ennemi. Ni à l’extérieur, ni à l’intérieur des frontières. Le gouvernement doit arrêter de naviguer à vue et doit prendre enfin les mesures nécessaires de manière à ce qu’elles soient cohérentes entre elles, fondées sur un principe de solidarité, qui permettront à chacun·e, riche ou pauvre, de faire face à la pandémie. La participation consciente et volontaire de l’ensemble de la population aux mesures de confinement nécessaires n’en sera que facilitée. Mais pour asseoir la légitimité de ces mesures de confinement, ce gouvernement ne doit pas se prévaloir de la crise sanitaire pour imposer son agenda néolibéral ni pour redoubler les discriminations pesant déjà sur les populations des quartiers populaires.

Protéger les personnes les plus durement touchées

Le gouvernement dégage des moyens conséquents pour les entreprises. Il faut qu’il en fasse de même pour les travailleurs·euses, les chômeurs·euses, les plus vulnérables et qu’ils préservent leurs droits acquis sociaux :

  • Des dizaines de milliers de personnes sont d’ores et déjà mises au chômage technique. Seuls 84 % de leur salaire net est maintenu, là où un maintien intégral des salaires devrait être assuré (avec compensation par l’État des entreprises réellement en difficulté). Dans le même temps, afin que la crise du coronavirus ne se transforme pas en crise sociale, les licenciements doivent être interdits, mesure évoquée puis retoquée par le gouvernement suite à des pressions du MEDEF.
  • Selon qu’on est plus ou moins riche, plus ou moins déjà malade, plus ou moins âgé·e, les conditions de confinement et même la possibilité d’accès à des soins de qualité ne sont pas les mêmes. Pour chacune des mesures mises en œuvre par l’État, il s’agit d’assurer la justice sociale, pour que ce ne soit pas les plus pauvres et les plus vulnérables qui soient les premières victimes.
    Ainsi, le Gouvernement a annoncé son intention de suspendre les expulsions jusqu'au 31 mai et a reporté la nouvelle baisse des aides au logement, ainsi que la prolongation des cartes de séjour pour les étrangers.
    Mais c'est loin de suffire : il faut instaurer la réquisition des logements vacants pour les sans abris et les très mal logé·e·s, un moratoire sur les loyers non payés, le rétablissement intégral des aides au logement et leur renforcement, un moratoire sur les factures impayées d'énergie, d'eau, de téléphone et d'internet pour cause de revenus insuffisants ou en baisse.
  • Dans cette période de confinement, la lutte contre les violences conjugales et sur les enfants doit être repensée et renforcée.

Pour protéger les travailleurs·euses :

  • le monde du travail doit être mobilisé uniquement pour la production de biens et de services répondant aux besoins essentiels de la population (l'agriculture, la pêche, l'industrie alimentaire et des boissons, les services d'information et de communication) et le droit de retrait des salarié·e·s doit être respecté, lorsque les conditions de santé et sécurité (masques, gel hydroalcoolique...) ne sont pas assurées.
  • aucun acquis social ne doit être remis en cause, contrairement à la possibilité que le gouvernement se donne par le Projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, qui lui permet d’intervenir par ordonnances sur des domaines du droit du travail extrêmement sensibles tels que le droit aux congés payés ou au repos hebdomadaire, la durée de travail hebdomadaire, etc. Pour maintenir les entreprises à flot, ce n’est pas la remise en cause des droits des travailleurs·euses qui est la réponse !

2. Pour une révolution écologique et sociale

Jamais, depuis 1945, le monde n’avait connu une situation aussi chaotique et instable dans un enchevêtrement de crises aussi diverses que majeures. L’épidémie du coronavirus révèle les grandes fragilités d’un capitalisme de plus en plus mondialisé et financiarisé, exploitant toujours plus le travail et le vivant. « Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché » : ce discours d’Emmanuel Macron est en complète opposition avec la politique qu’il mène depuis 3 ans et qui aggrave la crise sanitaire. À cette crise du coronavirus doit succéder une révolution écologique et sociale, passant par une rupture avec les politiques passées : il est urgent de désarmer cette formidable machine qui réchauffe la planète, fait s’effondrer la biodiversité, aggrave la précarité et les inégalités et met à mal la démocratie. Elle montre qu’une intervention bien plus forte de la puissance publique pour contraindre les marchés est nécessaire pour répondre aux besoins humains : nous devons nous mobiliser pour que cette intervention ne soit pas l’affaire de quelques semaines ou quelques mois. Des « décisions de rupture », pour reprendre les propos d’Emmanuel Macron, ne peuvent être conjoncturelles, elles doivent dessiner un autre futur.

Soutenir les entreprises réellement en difficulté en conditionnant les aides

Le confinement, l’arrêt de la production de nombreuses entreprises et la chute de la demande en France comme ailleurs mettent de nombreuses entreprises en très grandes difficultés. Le gouvernement a annoncé un premier paquet de 45 milliards d’euros d’aides (report ou annulation de cotisations, compensation du chômage partiel des salarié·e·s, fonds de solidarité, indemnité mensuelle de 1 500 euros...), ainsi que 300 milliards d’euros de garanties de crédits bancaires. Ces mesures sont nécessaires pour maintenir le tissu productif mais doivent être priorisées pour les entreprises réellement en difficulté et notamment les indépendant·e·s, auto-entrepreneurs·euses, TPE et PME, dont les trésoreries sont les plus faibles. Pour elles et eux, ces aides exceptionnelles peuvent être effectivement être dégagées pour éviter toute faillite.

Dans le même temps, certaines entreprises engrangent des profits exceptionnels : Amazon, Netflix... Une taxe exceptionnelle et conséquente doit être mise en place sur leurs bénéfices, permettant des rentrées de recettes publiques, qui vont lourdement manquer dans la période. De façon générale, pour éviter que ce soient les salaires qui soient la variable d’ajustement de la crise, le versement des dividendes doit être immédiatement suspendu.

Par ces interventions massives dans l’économie, l’État et les pouvoirs publics devraient se donner l’opportunité de réorienter très profondément le système productif du pays pour le rendre plus juste socialement, en mesure de satisfaire les besoins essentiels des populations et compatibles avec les grands équilibres écologiques : faut-il investir massivement de l’argent public pour sauver des compagnies aériennes, des entreprises pétrolières, gazières ou chimiques, des secteurs industriels polluants, sans conditionner ces aides à leur reconversion progressive et organisée ? Non. Ne doivent être soutenues que les entreprises qui acceptent d’abandonner progressivement leurs activités polluantes pour investir dans des activités socialement et écologiquement utiles et soutenables. À défaut, l’État et les pouvoirs publics doivent prendre le contrôle de ces entreprises et mettre fin à leur pouvoir de nuisance. Dans tous les cas, les droits des salariés doivent être assurés (continuité du revenu, emploi). Cet interventionnisme public est une occasion unique d'opérer une véritable reconversion écologique et sociale dans les secteurs les plus nocifs, ne la manquons pas ! Pas un euro pour relancer l’insoutenable machine qui produit des inégalités sociales et la destruction de la planète.

Débloquer les financements nécessaires en assurant la justice fiscale

Alors que les ultra-riches, comme Bernard Arnault, se donnent le beau rôle en faisant œuvre de générosité, il est grand temps de débloquer des financements supplémentaires, en faisant en sorte que chacun·e paye sa juste part d’impôt : on ne financera pas l'hôpital par des appels à dons. Cette exigence de justice fiscale passe notamment par :

  • une lutte implacable contre l‘évasion fiscale  ;
  • le rétablissement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF)  ;
  • le rétablissement de la progressivité de l’imposition des revenus du capital, via la suppression de la Flat Tax  ;
  • la suppression du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

Désarmer les marchés financiers

Alors que les cours du pétrole dévissent suite à la guerre des prix ouverte par l’Arabie Saoudite et la Russie et que la crise sanitaire du coronavirus se propage, une nouvelle crise financière et économique mondiale se profile et l’extrême fragilité du système financier revient sur le devant de la scène. Trop peu de leçons ont été tirées de la crise économique de 2008. Il faut remettre sur la table des mesures fortes et urgentes pour éviter une nouvelle catastrophe financière payée par les contribuables.

  •  La politique monétaire doit être mise au service à très court terme de l’économie réelle, des besoins sociaux et environnementaux. Le nouveau plan d’achat d’actifs de la Banque centrale européenne (BCE) de 750 milliards d’euros doit être ciblé sur les activités prioritaires, selon le triple critère sanitaire, social et écologique. La BCE s’y est jusqu’ici toujours refusé, arguant de sa neutralité de marché, continuant ainsi à largement subventionner des secteurs nocifs pour la planète et la population. La politique monétaire doit cesser d’alimenter toujours plus les marchés financiers en liquidités et de renforcer leur mainmise sur l’économie réelle et les États : la BCE doit arrêter d’injecter des milliards d’euros par mois sans condition sur les marchés financiers, même sous couvert de sortir de la crise financière et économique qui s’annonce. C’est inefficace : les taux d’intérêt directeurs sont déjà au plus bas et les rachats de titres sont massifs, sans effet réel, si ce n’est de nourrir la spéculation. Plus largement il faut conditionner le refinancement des acteurs bancaires et assurantiels à une restructuration complète de leurs portefeuille d’activités : les activités bancaires qui aggravent les crises sanitaires, écologiques et climatiques ne doivent plus être refinancées. Dès maintenant, les centaines de milliards d’euros des produits d’épargne réglementés (Livret A, LDDS, LEP, etc) doivent être mis au services des activités soutenables et être garantis 0% fossile 0% fissile.
  •  La BCE et les banques publiques doivent prêter directement et dès à présent aux États et collectivités locales pour financer les plans d’urgence, en appliquant les taux d’intérêt actuels proches de zéro. La dette publique, qui va fortement augmenter à la suite de la crise du coronavirus, ne doit pas être à l’origine de spéculations des marchés financiers et de futures politiques d’austérité budgétaire, comme ce fut le cas après la crise économique de 2008. D’ores et déjà, les écarts entre taux d’intérêt imposés aux États par les marchés financiers se creusent et restreignent les marges de manœuvre des pouvoirs publics, comme en Italie : il faut stopper ça tout de suite. Les déclarations à l’emporte-pièce de Christine Lagarde le 12 mars dernier, laissant entendre que la BCE pourrait ne pas soutenir tous les États de la zone euro, bien que rectifiées par la suite, sont inquiétantes. La BCE doit acheter à l’émission cette dette nouvelle pour financer les États par de la création monétaire, et lui attribuer un statut de dette perpétuelle, non remboursable.
  • Un contrôle des capitaux et une interdiction des opérations les plus spéculatives et risquées doivent être instaurés : ventes à découvert, opérations à terme, opérations portant sur des secteurs stratégiques (alimentation, énergie, etc), limitation stricte des variations journalières des cours, taxe sur les plus-values financières... Ce fut fait pendant la seconde guerre mondiale et cela doit être reproduit. Le « shadow banking », partie la plus risquée et la moins régulée des marchés financiers, n’a jamais été aussi important et doit être urgemment restreint, pour éviter une trop grande catastrophe financière.
  • Un démantèlement et une socialisation des plus grandes banques, « too big to fail », dont la taille est telle que la défaillance de l’une d’elles met en péril la stabilité entière du système bancaire mondial. C’est le cas des 4 plus grandes banques françaises, qui se retrouvent avec une part d’actifs financiers dans leurs bilans extrêmement importante, les rendant d’autant plus vulnérables face aux variations de cours de bourse. Il faut donc séparer les activités de dépôt et d’affaires des banques, ainsi que le proposait une directive européenne récente, bloquée à cause du lobby bancaire européen.
  •  Une taxe sur les transactions financières (TTF), en augmentant fortement le taux pour les transactions les plus spéculatives et risquées. La directive européenne sur la TTF, qui a été négociée dans le cadre d’une coopération renforcée, mais à laquelle le président français s’est opposé, doit être mise en œuvre.

Pour une solidarité internationale

La solidarité internationale doit s’exercer, à commencer par celle entre les pays européens qui ont été incapables de conduire une stratégie commune face à l’épidémie. Un budget européen bien plus conséquent que celui annoncé doit être mis en place à cet effet au sein de l’Union européenne (qui n’est autre que l’utilisation de fonds déjà existants pour la politique européenne de cohésion). Ce budget pourrait être financé sous forme de prêts à taux zéro par la BCE elle-même ou par la Banque européenne d’investissement (BEI). Ce budget européen pourrait être alimenté par des impôts européens (impôt sur les sociétés, impôt sur le patrimoine, TTF, etc). Au-delà, la solidarité européenne doit se baser sur une harmonisation fiscale entre les pays membres. Celle-ci doit stopper la course à la baisse des impôts directs et progressifs et s’adapter aux transformations de l’économie (en intégrant les activités numériques par exemple), au travers d’un « serpent fiscal européen » qui neutralisera la concurrence fiscale et sociale.

Des services publics pour assurer l’accès de tou·te·s aux droits humains fondamentaux

Cette épidémie montre l'état désastreux de notre système hospitalier. Depuis 3 ans les personnels hospitaliers ne cessent de tirer la sonnette d’alarme, face à un manque de moyens criant, en personnel ou en lits, qui empêchent aujourd’hui de soigner correctement chacun·e. Le gouvernement n’y a pas répondu et on en paye aujourd’hui le prix fort : il aura à répondre de cette politique qui a laissé se dégrader une situation devenue indigne dans les hôpitaux. Depuis quarante ans, les réformes néolibérales ont peu à peu déconstruit les services publics. Aujourd’hui, ce n’est pas seulement l’hôpital qui souffre, mais l’ensemble des services publics qui ne peuvent plus jouer leur rôle de réduction des inégalités. Désormais, il nous faut reconstruire et améliorer ces services avec des moyens et des postes de titulaires à hauteur tout en assurant l’égalité d’accès des territoires et des populations.

Pour y arriver, il faut annuler la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) et engager une réorientation fondamentale de l’organisation et des finalités de la recherche. Les scientifiques soulignent une grave insuffisance de la recherche publique fondamentale sur les virus, par manque de moyens et de chercheurs, depuis de nombreuses années. Des leçons auraient pourtant dû être tirées suite à l’épidémie du SRAS au début des années 2000 à Hong Kong et dans d’autres pays d’Asie. Plus généralement, la recherche publique est progressivement dévastée par la réduction des moyens et leur affectation à des projets en fonction de leurs retombées économiques pour le secteur privé et non en fonction de leur utilité sociale. Les 5 milliards en 10 ans pour la recherche scientifique annoncés par Emmanuel Macron ne règlent en rien les problèmes soulevés par les chercheur·se·s et enseignant·e·s qui revendiquent la fin de la précarité, la création de postes de personnels titulaires dans toutes les disciplines ainsi qu’un soutien à la recherche publique qui ne soit pas dirigé par l’Agence Nationale de la Recherche et qui se traduise par la suppression du Crédit Impôt Recherche.

La crise sanitaire a cruellement révélé l’enjeu pour la société de reconnaître l’importance des services aux personnes dépendantes (personnes en perte d’autonomie, personnes handicapées, etc.), la nécessité de répondre à leurs besoins quotidiens et l’importance du lien social. Une bonne partie de ces activités est actuellement prise en charge par des femmes, soit dans le cadre de la sphère privée et de l’aide informelle, soit par des emplois mal rémunérés occupés très majoritairement par des femmes, et notamment des immigrées (auxiliaires de vie, aides ménagères, etc.) ou encore dans les EHPAD. Dans ce domaine les besoins sociaux sont très importants et, quand les politiques publiques ne permettent pas leur prise en charge collective, c’est le secteur privé qui s’engouffre dans ce champ d’activités porteur de profits. Nous sommes pour la valorisation de ces métiers et leur mixité. Contre la marchandisation de ces services, nous demandons leur socialisation, c’est à dire la création de services publics et leur contrôle par les différentes catégories de « parties prenantes », salariés, usagers, personnes morales et collectivités.

Les besoins en terme de capacité d’accueil de la petite enfance sont criants. L’accueil est de plus en plus inégalitaire, de plus en plus privatisé et individuaIisé pour celles et ceux qui ont les moyens, il existe en plus de fortes inégalités territoriales. Il faut concevoir un service public de la petite enfance qui regrouperait tous les modes de garde, crèches, assistantes maternelles, structures associatives, etc. et offrirait la meilleure qualité pour l’accueil des enfants avec un plan de formation et de reconnaissance des qualifications des métiers de la petite enfance.

Une relocalisation solidaire des activités

La « crise du coronavirus » révèle notre très grande vulnérabilité, tant les chaînes de production sont mondialisées et tant nous sommes dépendant·e·s d’un grand nombre d’exportations et importations. C’est le cas notamment des grandes entreprises de l’électronique, de l’automobile, de l’aéronautique, des médicaments, du textile... Or des crises comme celle-ci, sanitaires mais qui pourraient être géopolitiques ou climatiques, se reproduiront. La relocalisation doit permettre d’instaurer une meilleure autonomie face aux marchés internationaux, et de se désolidariser des règles européennes, des accords de libre-échange, et de répondre aux besoins locaux. Elle doit également permettre aux pouvoirs publics et aux citoyen·ne·s de reprendre le contrôle sur les modes de production, d’éviter de confronter entre eux des systèmes productifs extrêmement inégaux, d’avoir une chance de court-circuiter les multinationales et de baisser les coûts écologiques des transports.

La relocalisation des systèmes productifs se justifie parce que la division du travail organisée par les multinationales met en concurrence les peuples et tire tout le monde vers le bas, mais aussi pour des raisons démocratiques et écologiques : le développement du commerce international et des flux de marchandises entraîne un accroissement permanent des émissions de gaz à effets de serre liés au transport. Mais si on a besoin d’une relocalisation du système productif, on a aussi besoin d’une extension sans précédent de la coopération internationale.

  • La « crise du coronavirus » montre également le besoin de relocaliser la production des médicaments alors qu’une majorité des principes actifs que nous utilisons sont importés de Chine et d’Inde, ce qui pose aujourd'hui des problèmes d'autonomie et de sécurité sanitaire. Il s’agit également de relocaliser les activités dans l’industrie, dans l’agriculture et les services et pour cela de mettre en œuvre une planification démocratique de ces productions en fonction des besoins et des impératifs écologiques. La nécessaire bifurcation sociale et écologiste ne pourra se faire qu’à travers une revitalisation de tous les territoires.
  • Cette relocalisation passe d’abord par l’arrêt ferme et définitif de la négociation, signature et ratification de nouveaux accords de libre-échange bilatéraux (commerce et investissement), par la remise en cause des accords existants (dont les mécanismes ISDS) et par la remise en cause des règles de l’Organisation mondiale du commerce.
  • Une taxe kilométrique sur tous les modes de transports accroîtrait substantiellement le coût du fret et dissuaderait le transport de marchandises sur longues distances. Le montant de cette taxe augmenterait (de façon proportionnelle ou plus complexe) en fonction du nombre de kilomètres parcourus entre le lieu de production de la marchandise et son lieu de vente. Cette taxe inciterait au développement des circuits économiques locaux et régionaux et rendrait le commerce de longue distance très peu compétitif. Une telle mesure ouvre la voie à un développement économique beaucoup plus centré sur les besoins locaux et la possibilité pour les populations locales de décider ce qu’elles vont produire et comment. En outre, la taxe kilométrique est un outil coopératif qui renchérit autant les exportations que les importations, sans désavantager les partenaires commerciaux du pays qui en prend l’initiative.
  • La relocalisation doit s’accompagner d’une régulation internationale refondée sur la solidarité internationale et la réponse à la crise écologique, dans le cadre d'instances multilatérales et démocratiques. Il s’agit de déployer des mesures fermes et mondiales contre le réchauffement climatique, pour aider les pays pauvres à s’y adapter, pour combattre les paradis fiscaux et judiciaires, pour contraindre les multinationales, pour en finir avec la concurrence fiscale et sociale et s’engager enfin sur la voie d’une harmonisation fiscale européenne et une fiscalité internationale. Il s’agit de réguler bien plus fortement les échanges de biens, de services et de capitaux, tout en permettant une libre circulation des connaissances et des personnes.

Une révolution écologique et sociale

L'enjeu n'est pas la relance d'une économie profondément insoutenable. Il s’agit de mobiliser à court terme les sommes colossales nécessaires pour faire face au réchauffement climatique et à la crise écologique et engager la bifurcation de l’économie et de la société. La France, l’Europe et la communauté internationale doivent élaborer un plan de rupture avec le désordre néolibéral et productiviste pour répondre de façon démocratique à la fois aux urgences sociales et écologiques.

  • La BCE et le système bancaire, ainsi que les pouvoirs publics, doivent soutenir avant tout les investissements dans la transformation écologique, avec la création massive d’emplois dans les énergies renouvelables, des transports en commun qui doivent être rendus gratuits, la rénovation thermique des logements... Ils doivent aussi financer bien davantage des activités satisfaisant les besoins de base et l’intérêt général : services publics de santé, d’éducation, de recherche...
  • Une politique budgétaire ambitieuse doit accompagner cette politique monétaire, avec notamment des moyens bien plus importants pour les collectivités locales qui assurent les services publics de proximité.
  • Face aux limites physiques de la planète, la décroissance de la consommation matérielle et énergétique à l’échelle mondiale, et d’abord dans les pays riches, est indispensable. Il faut stopper les investissements énergivores et consuméristes comme la 5G ou la recherche de nouveaux gisements d’énergies fossiles. Il faut engager la décroissance des activités polluantes tout en évitant que les travailleurs·euses en fassent les frais, par des politiques de formation, de reconversion et de partage des richesses. La politique énergétique ne peut pas être simplement une « énergie décarbonée » qui ferait la part belle au nucléaire – dont l'ensemble de la chaîne de production est fortement émettrice de gaz à effet de serre –   et qui laisserait intacte les consommations énergétiques finales. Des modes de production agricoles et industriels bien plus écologiques et sociaux doivent être favorisés par une réorientation forte des aides publiques ou encore des marchés publics. Face aux lobbys des multinationales, la réglementation sur les substances néfastes pour la santé doit être considérablement renforcée. N’oublions pas que certaines de ces substances (perturbateurs endocriniens, pesticides...), tout comme une mauvaise alimentation, sont à l’origine de nombreux cancers ou d’autres maladies qui rendent aujourd'hui beaucoup plus vulnérables les personnes face au coronavirus.
  • Refonder les systèmes agricoles et alimentaires est une nécessité pour défendre les paysans, leurs emplois mais également les consommateurs·trices, autour des principes d’autonomie productive et alimentaire (contre la mondialisation des échanges de denrées alimentaires) et de solidarité internationale (contre les destruction des systèmes agricoles locaux par le mise en concurrence des systèmes productifs).
    La relocalisation solidaire doit permettre un accès à une alimentation de qualité pour tou·te·s, grâce à des politiques publiques qui favorisent une agriculture créatrice d'emplois de qualité, rémunératrice. Une telle agriculture peut permettre de faire face aux crises écologiques ou sanitaires, en étant appuyée sur des réseaux de distribution locaux, pour une alimentation saine et diversifiée.

Conclusion : préparer le jour d’après, dès maintenant !

Nul ne peut dire quand se terminera le confinement et encore moins le développement de la pandémie de COVID19. Mais une chose est sûre, les choses ne peuvent demeurer en l’état. Soit les gouvernements en profitent pour mener une stratégie du choc, augmenter d’un cran les politiques néolibérales et autoritaires, soit les peuples reprennent le contrôle et refondent nos sociétés. Il ne s’agit pas là d’un débat lointain : demain se prépare aujourd’hui.

Aux rhétoriques guerrières et aux attaques contre les droits sociaux annoncées par le gouvernement, opposons l’entraide, la défense des services publics et des salarié·e·s.

Au chacun pour soi, opposons les pratiques collectives, même en période de confinement. À l’accentuation des inégalités dans la gestion de crise, notamment pour les personnes qu’on oblige à aller travailler ou pour ceux et celles qui subissent déjà de fortes discriminations, opposons l’égalité, « coûte que coûte ».

Au sauvetage des multinationales, opposons une réorientation des politiques afin de répondre aux urgences sociales.

Au maintien des structures économiques actuelles, opposons une bifurcation écologique et sociale, guidée par la satisfaction des besoins collectifs et les impératifs écologiques.

L’heure est à l’organisation de la solidarité et de l’entraide. Si l’on veut imaginer une réelle sortie de crise, ce sont ces valeurs qu’il faut faire vivre dès maintenant, et bien plus encore dès la fin du confinement.

Non, nous ne voulons pas d’un retour à leur normalité, car la normalité néolibérale et productiviste est le problème.

Attac France, 23 mars 2020